dix ans de L'Abominable


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Quatrième séance : vendredi 26 janvier à 20h30
Presentée par Stefano Canapa



ANTIPASTO, PRIMO E SECONDO.

Avec la séance de janvier, les programmes se font un peu plus conséquents en terme de nombre de films et de durée. L’arithmétique l’impose, faute de pouvoir étaler la programmation de Dix ans, sur... dix ans !

L’entrée - l’antipasto- de cette quatrième séance se fera par la performance d’Anne-Marie Cornu, en guise de balise, de mise en œil, dirait l’autre, sur le parvis du Ciné 104, pour tourner le dos aux films à l’affiche. C’est par le biais d’aberrations que nous nous retrouverons sur ce chemin de traverse qui pourrait bien être rien d’autre que la via maestra du cinéma tout court - « Ce n’est pas moi qui fait du cinéma expérimental, ce sont les autres qui font du cinéma commercial. Moi, je fais du cinéma. » dixit Peter Kubelka.

Il primo donc, la première partie de cette séance débutera avec Link, une plongée punk dans le non-figuratif, motifs abstraits et géométriques, histoire de donner la note. Puis viendront les films sans caméra d’Emmanuel Lefrant, deux travaux marqués par une admirable rigueur intellectuelle et un geste très maîtrisé du point de vue plastique. Ce sont des tableaux en mouvement, une autre histoire de l’art, pour la première fois présentés chacun (All over et Overall) en double écran, cela doit s’appeler la stéréovision.
Avec le film qui suit, Mer de Martine Rousset, nous rentrerons dans le domaine du cinéma à matrice figurative. Mais ce n’est pas pour autant qu’on aura quitté le domaine de la peinture. Mer est précisément une synthèse sublime entre le formel et le sensible. Un film essentiel qui fera résonner d’autant plus fort les mots de Peter Kubelka cités auparavant.
Pour clore cette première partie, Au fond des yeux de Raphaël Sevet. C’est un essai dont les enjeux ont encore à voir avec le détournement du figuratif, cette fois ci avec l’introduction d’éléments purement fictionnels et de mise en scène. C’est un film récent dont la copie sonore 16mm vient tout juste d’être tirée, j’attends donc avec impatience de le découvrir en salle, la version VHS ne lui rend pas justice.

Il secondo, après l’entracte, c’est la Méditerranée d’en face. Trois femmes, trois gestes singuliers. Celui de Martine Rousset, le regard avant la déambulation, le regard qui se fait absence au profit de l’ouïe, comme à écarter toute distraction visuelle parasite, une vision nocturne qui se fait discrète, pour que finalement la dimension auditive se fasse maître de la perception - place à l’imaginaire.
Ensuite la série des K de Frédérique Devaux, l’histoire intime face à l’Histoire, gravée sur corps argentique, analysée sur table chirurgicale lumineuse. Une seule lettre, mais un travail qui pourrait bien devenir encyclopédique.
Puis, pour conclure, l’enquête de Leila Saadna dans un Beyrouth encore ravagé par la guerre, un récit de rencontres entre l’eau et le béton troué de la ville, un film muet qui est aussi la trace d’une autre rencontre, celle de la cinéaste avec un outil du cinéma, la tireuse optique, par le biais duquel les éléments temporels sont déstructurés et réinventés. 

Buona visione.
                                                                                                                                        Stefano Canapa




Films

Cercles lumineux 1
d'Anne-Marie Cornu, 1999, performance double écran 16mm

Link

d'Yves Pélissier, 1999, 16mm, 12'

All Over

projection en double-écran
d'Emmanuel Lefrant, 2001, 16mm, 7'

Overall
projection en double-écran
d'Emmanuel Lefrant, 2006, 16mm, 5'

Mer
de Martine Rousset, 2003, 16mm, 20'

Au fond des yeux
de Raphaël Sevet, 2003-2006, 16mm, 3'


Entracte


Hôtel Turkoman
de Martine Rousset, 2000, 16mm, 15'

Série des K
de Frédérique Devaux, 2001-2006, 16mm, 19'

Beyrouth.05

de Leila Saadna, 2006, 16mm, 8'




Cercles lumineux 1
   d'Anne-Marie Cornu, 1999, performance double écran 16mm


Cercles Lumineux 1 sera présenté en performance.

Deux projecteurs se font face. Une toile tendue sur un cercle est entreposée entre les deux. Les images projetées provoquent des fuites de lumière en dehors du cadre habituel de formation de l’image. Ces aberrations ont donné à l’écran sa forme circulaire.

« Des films 16mm explorent la superposition ou la projection simultanée d’images multiples qui se répondent de façon cycliques. Elles sont génerées souvent par des procédés qui introduisent un élément de hasard dans le processus de production. En essence, l’élément causal de la proposition nie le contenu narratif et la rhétorique conventionnelle du montage. Il engendre un équilibre entre les possibles lectures. » (Keith Patrick)



Link
   d'Yves Pélissier, 1999, 16mm, 12'


Film tiré de live avec Discom, groupe de musique électronique.

Image Process : Yves Pélissier
Sound Design : DISCOM (Lionel Fernandez, Erik Minkkinen)



All Over
   d'Emmanuel Lefrant, 2001, 16mm, 7'


Avant toute manipulation, l'émulsion est recouverte d'une épaisseur de produits chimiques dont la couleur résultante est noire. « L'amorce noire peut être appréhendée comme la peinture blanche de Kazimir Malevitch : un espace à partir duquel tout est possible, l'espace de potentialité et de virtualité absolues. » Ceci parce que le cinéma, au contraire de la peinture, fournit la lumière à sa propre image, au moyen de la lampe du projecteur. Il ne s'agit donc pas de recouvrir une surface vierge de formes ou de couleur puisqu'elles existent déjà. Même si All over est un film réalisé sans l'instrumentation de la caméra, il se démarque des films directs en ce sens qu'aucun outil (pas même la main) n'a effleuré la pellicule. Comme pour le dripping, la matière et la couleur sont déposées spontanément en gestes semi-contrôlés sur le celluloïd, formant des pluies de points colorés. La bande-son fonctionne selon un principe similaire : un seul et même élément formel sert à l'ensemble de l'articulation sonore.

Emmanuel Lefrant



Overall
   d'Emmanuel Lefrant, 2006, 16mm, 5'


« Bien que la plupart de nos visions nocturnes ne soient peut-être rien d'autre que de vagues et bizarres reflets de nos expériences à l'état de veille, il en reste néanmoins dont le caractère dépaysant et éthéré ne permet aucune interprétation banale, et dont l'effet vaguement provocateur et inquiétant évoque la possibilité de brefs aperçus dans une sphère d'existence mentale non moins importante que la vie physique, et pourtant séparée d'elle d'une manière pratiquement infranchissable. » (H.P. Lovecraft, Par-delà le mur du sommeil)

D'un point de vue plastique, Overall est la continuité du projet entamé avec All over. Le procédé technique n'est plus le même puisque le matériau premier est devenu de la peinture à l'huile ; l'image n'est donc plus le résultat d'une manipulation chimique comme c'était le cas avec All over. Le film original a été peint sur un ruban transparent en utilisant la technique du All over de Jackson Pollock, puis les couleurs ont été inversées en laboratoire à l'aide d'une tireuse contact. Quant à la bande sonore, elle a été réalisée avec l'environnement de programmation sonore « Pure Data », qui a permis le calcul en temps réel, pour chaque image, de la densité des couleurs (rouge, vert, bleu). Le résultat de ce calcul contrôle le volume sonore de trois sons distincts, chacun d'eux étant associé à une couleur primaire.

Emmanuel Lefrant



Mer
   de Martine Rousset, 2003, 16mm, 20'


La Méditerranée, celle ci. le soleil.
de l'écrit sur l'eau ?
la rumeur violente du vent des vagues.
la voix sauvage de l'écrit de l'eau.
quelques fictions enfantines dans l'écrit de l'eau sûrement très cruelles,
des jeux de guerre.
langage perdu.
enfance souveraine.
c'est la mer qui gagne. bien fait.

« La mer est un langage dont on a perdu le sens » (J.L. Borges)



Au fond des yeux
   de Raphaël Sevet, 2003-2006, 16mm, 3'


Incarner des moments de passage entre deux mondes distincts, des mondes qui se ressemblent. Il n'y a que des antichambres et du décor. Être le masque que l'on porte, j'y ai perdu ma pudeur.

Songe et mensonge, quelle est la perspective d'un borgne ?

Je questionne la figure du rêveur comme étant simultanément l'émetteur et le récepteur de ses propres visions, le metteur en scène et l'unique spectateur de ses projections.

Raphaël Sevet



Hôtel Turkoman
   de Martine Rousset, 2000, 16mm, 15'


C'est là ce que la ville offre à l'inconnu de passage :
or et nuit au visiteur à peine venu.
Fragment,
le caillou donné au bord du chemin, brut.
On le prend, on le garde.
Est-ce qu'on peut lire dedans les lueurs qui passent?
Qu'est-ce qui est écrit?
Images entières, images premières,
loin de l'art et la manière.

Martine Rousset



Série des K
   de Frédérique Devaux, 2001-2006, 16mm, 19'


En 2001, j'ai entrepris une série expérimentale intitulée K, cependant que je réalisais plusieurs documents et un documentaire sur cette région d'Algérie dans laquelle se trouve une part de mes racines. Chaque partie de K est axée autour d'une problématique : l'enfance, les manifestations en Kabylie, les femmes, les populations berbères... Il s'agit de ce que j'appelle une « chronique et biographie expérimentale ». K est la première lettre du mot Kabylie, le pays de mon père et de ma famille. Une des caractéristiques de ma démarche est de travailler photogrammes par photogrammes et non pas sur le plan, le montage étant réalisé au moment du tirage, afin de mieux travailler « entre les images » par le filage, la sur/sous/impression, le collage...


K (Il est une fois) 2001-2003, 16 mm, 3'

K (Il est une fois) trace en discontinuité l'écartelement entre deux pays, la France et la Kabylie. Cette première partie est composée de souvenirs d'enfance dispersés entre deux identités. Le montage extrêmement rapide permet d'apercevoir des visages, des lieux, mais n'autorise pas à percevoir quoi que ce soit. Les vues elles-mêmes ne se raccordent pas, et les incrustations diverses reproduisent les effets d'une mémoire sans souvenirs. Une mémoire qui ne serait composée que de flashes incertains, de souvenirs qu'aucun mot ne peut happer, sérier. Une partie des documents filmés est composée de photographies de famille et d'enfance, seules preuves que cette histoire « a été », qu'il a bien été une fois où...


K (Les Luttes amazigh) 2002, 16 mm, 3'

A la brisure d'une famille K (Il est une fois) font écho les morceaux épars d'une Kabylie déchirée par la lutte et les manifestations [K (Les luttes amazigh) qu'on peut traduire par les Luttes des Hommes Libres puisque « Amazigh » signifie « Homme Libre »], notamment dans la région de Tizi Ouzou, le foyer paternel. K (Les luttes amazigh) s'intéresse à la résistance kabyle face aux forces de l'ordre, lors des manifestations qui ont ravagé la région de Tizi Ouzou et engendré de très nombreuses morts. Il n'y a que des hommes dans la rue. Ceux-ci ont beau brandir le drapeau « amazigh », ils ne seront pas écoutés. Leurs revendications s'envolent au vent et eux-mêmes sont rayés de la parole publique.


K (Les Femmes) 2003, 16 mm, 5'

Cette troisième partie traite des femmes. Jamais encore un sujet ne s'est prêté aussi bien à ma pratique expérimentale. En Kabylie (mais également en Algérie, en raison du Code de la Famille), une femme n'est jamais majeure. Comme partout dans le monde, ce sont les femmes qui s'occupent des enfants, de la famille, du ménage. Elles sont effacées (au sens propre du terme) de la vie sociale extérieure. Ce sont des ombres qui s'activent dans les espaces qui leur sont réservés (notamment la fontaine)... Malgré tout, elles sont solidaires, elles chantent, elles dansent ...


K (Désert) 2004, 16 mm, 4'

K (Désert) traite de l'éparpillement d'une culture - la culture berbère algérienne - à travers des populations disséminées dans diverses régions d'Algérie. Il a été réalisé sur le principe de la fragmentation de l'image, par des moyens mécaniques variés (superpositions de perforations et de sons optiques, déchirures de la pellicule, surexposition, répétition et dilution d'un même photogramme, avant/arrière...)


K (Rêves/ Berbères)  2006, 16mm, 4’

Je traite dans cette partie du rapport des Kabyles au rêve d'un ailleurs. Pour ce faire, j'ai beaucoup filmé en super-8 en Kabylie mais également dans d'autres pays. Par la superposition, le rapprochement du positif et du négatif, un travail de kinescopage, une recherche sur la couleur, un montage parfois très court dans lequel j'intercale des articles sur le « chaudron kabyle », parmi d'autres effets employés je tente de donner corps à ces visons fugaces, incertaines, souvent fausses, d'un ailleurs. Au tirage, j'ai beaucoup travaillé sur le diaphragme, allant volontairement de la surexposition à la sous-exposition, afin de rendre « l'aveuglement » (la fièvre) et l'ignorance de certaines populations par rapport à cet ailleurs qu'ils croient être un Eldorado.

Frédérique Devaux



Beyrouth.05
   de Leila Saadna, 2006, 16mm, 8'


En octobre 2005, je suis partie à Beyrouth pour filmer les marins, petits pêcheurs embarqués sur des bateaux de fortune. J'ai filmé leur journée de travail comme une errance sur les flots, draguant interminablement les noirceurs de la mer à la recherche, juste à la recherche, peut-être d'une histoire indicible, peut-être d'un bruit de bombe et de fureur enfouie dans le silence. Beyrouth, Beyrouth, ville chaotique, ville à l'organisation chaotique, ville partagée, séparée, morcelée, avec ses traces de guerre, trous de balles dans les murs de sable des tours usées, comme érodée par le temps. Ville pauvre avec ses quartiers de luxe, son centre ville de façade, et ce flux sanguin de voitures bruyantes, hurlantes, milles sonorités acides d'une modernité sauvage se mêlent aux chants du muezzin, temps de la prière sous les crissements de pneu, temps calme caressé par la blancheur du soleil, ressac de la mer qui emporte la ville comme un bateau à la dérive, chante, chante Beyrouth, chante au son du oud et des voix graves des hommes marins, seule face à la mer, à perte. Ton chant s'élève dans le soir. Silence.

Leila Saadna






Ciné 104
104, av. Jean Lolive à Pantin
Métro Eglise de Pantin

Entrée 5 euros.
Venir à trois séances donne le droit à une entrée gratuite pour une séance suivante.
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